une journée au camp du struthof

 

Une journée normale s' entend, et dans un block normal: quarante mètre de longueur sur douze de largeur, avec une entrée au milieu et une chambre complète de chaque côté, comprenant successivement salle d' eau et W.C., réfectoire et dortoir. Tables, banc ou tabourets, dans le premier; lits superposés à trois étages de 0,80m de largeur avec une paillasse en fibres de bois aussi dure que de la planche dans le second. Une couverture pour chaque lit. Pour la nourriture, une gamelle en alu et une cuillère en bois pour chaque convive.

Réveil à quatre heures. En fanfare: coup de sifflet stridents, hurlements, jurons. Il faut que ça saute. Pliage de la couverture, au millimètre, toilette à l' eau glacée et sans savon, "café" avalé en deux gorgées, et c' est le départ pour le terrifiant appel. Dans la nuit noire et la faim au ventre. A peine le temps de penser aux être chers qui, en FRANCE, dorment sans doute encore.

L' aube pointe tout juste lorsque partent les commandos:

Route n°1 - Route n°2 - Cave à pommes de terre - Sablière - Carrière, etc. On n' accepte pas de Français dans ce dernier, par crainte d' évasion paraît-il. De toute façon, " piocher " là ou " piocher " ailleurs, la différence n' est pas grande. Certains commandos sont moins durs, mais tout le monde ne peut pas y aller. Question de chance, ou de " copinage ". Aucune société
n' est parfaite, et celle ci encore moins que les autres.

Avoir un bon kapo, sur le chantier, c' est aussi une chance: on peut alors travailler " avec ses yeux " autant, sinon plus, qu' avec ses bras. C' est-à-dire plus s' intéresser aux allées et venues du S.S. de surveillance qu' à son boulot. Transgresser cette loi,
c' est déjà accepter sa propre mort.

Dans le cas contraire, alors les coups du S.S. ont toutes les chances de se conjuguer avec ceux du kapo.

Soyons juste: aux " travaux de force " on bénéficie d' un léger casse-croûte à 9 heures: 100 grammes de pain et une mince rondelle de saucisson. Mais ceci ne compense pas cela, et le jeu n' en vaut pas la chandelle.

On a une heure et demie environs à midi, trajet compris, pour revenir manger la soupe au block. On passe alors devant le poste de garde, au pas cadencé, et bien alignés pour faciliter le comptage, à l' aller comme au retour. Avec un second appel général après la soupe et un troisième le soir. On est donc compté sept fois par jour. Comme des objets précieux.

Petits détails supplémentaires: les éclopés sont ramenés à dos
d' homme des chantiers. Les morts aussi.

L' après-repas du soir est le meilleur moment de la journée. On se détend un peu, on parle du pays, de ceux que l' on a laissés là-bas, des événements. Les plu optimistes font des projets.
D' aucuns, parfois, y vont même de leur petite chansonnette, pour remonter le moral des autres. Un coin de ciel bleu au milieu d' un océan de nuages, sombres et menaçants.

Le menu journalier s' établissait en gros comme suit:

Le matin: un demi-litre d' eau chaude dans lequel avaient été mises à infuser plantes et fleurs des champs, quand ce n' était pas tout simplement du foin, ou du marc de café déjà utilisé.

A midi: de trois quarts à un litre de soupe, le plus souvent très claire dans laquelle le rutabaga était roi, quand il n' y était pas seul. Mais le pire, c' était cette sorte de colle pour affiche, donc très gélatineuse, dans laquelle avaient été incorporées des graines noires, ces graines noires que l' on triait dans les céréales avant que fussent connus les désherbants.

Le soir: une tranche de 250 à 300 grammes de pain brun, très brune, aussi brune que les chemises hitlériennes, aussi lourd et indigeste qu' il était brun. Il était toutefois complété par un doigt d' une margarine d' assez bon goût, mais qui prenait celui du fuel.

A ce régime, on maigrissait à vue d' oeil, jusqu'au perdre environ dix kg par mois, au début et pour les plus gros tout au moins. La totalité de la nourriture ingérée quotidiennement, margarine comprise, par chaque détenu ne comportait que 650 à 700 calories par jour alors qu' il en eût fallu au moins trois fois plus.